Pourquoi et comment je m'engage

Par Pierre Beccu

Depuis 1997, et le documentaire «Mon lycée c’est le Pérou» (entièrement filmé par des lycéens de la banlieue de Grenoble pour une diffusion sur France 3 national), je mène en parallèle de mon travail d’auteur-réalisateur des actions dans le domaine de l’éducation au regard, plus communément appelé « éducation à l’image ». Fabriquer un film de A à Z procure une expérience unique, lorsque le projet est mené avec du temps et une véritable approche pédagogique et artistique. Les ateliers sont réalisés dans un esprit d’équilibre entre théorie et pratique, entre sensibilisation, analyse des films et constitution d’un projet propre, entre perception et création.

Reprendre le pouvoir sur les images, renouveler le rapport au désir d’apprendre, reposer les bases du vivre ensemble.

Sur la base de 20 ans d’expériences et d’ateliers réalisés dans le cadre scolaire, je propose de mettre le langage cinématographique et les outils numériques au coeur de la circulation des désirs et des savoirs. Favoriser chez les êtres en cours de constitution la boucle de vie perception – réflexion – partage – création – perception en inventant ensemble des outils et des gestes pour demain, c’est leur permettre de devenir pleinement eux-mêmes, et de se préparer à construire activement le XXIème siècle.

Ce concept permet également de briser la temporalité moderne vis à vis des images (répétitions, boucles, rythmes effrénés, zapping) par la fabrication de nos propres images. Devant leur modeste création, les enfants et les jeunes redécouvrent les vertus de la dilatation, de la lenteur, de la pause. Dès lors les spectateurs fascinés deviennent des auteurs motivés. Ils ont envie de continuer à ressentir, mais ils peuvent aussi en partie comprendre les images, les images de toutes natures, leurs genèses, leurs processus de fabrication, de transformation, de réception, leurs fonctions, et leurs sens multiples.

L’image est aujourd’hui le point de croisement, de friction, de rupture ou de constitution de l’être par rapport au monde. En tant que réalisateur, j’ai envie de transmettre mon savoir, sans leçon à donner, dans l’esprit d’un partage, pour aider les citoyens à affirmer leur droit à exister pour ce qu’ils sont, et à tenir en respect ce qu’on voudrait qu’ils soient. Raconter avec des images et des sons, en amateur ou en professionnel, c’est accomplir un acte de liberté curieuse.

C’est aussi l’occasion de dialoguer sans pression avec les enseignants et les parents qui s’interrogent sur le rapport privilégié qu’entretient l’enfant ou le jeune avec les écrans. Dans un monde où l’efficacité des moyens numériques peut permettre de franchiser les imaginaires et de dominer les consciences, on peut au contraire prendre en main les outils et les contenants pour permettre aux jeunes de se créer eux-mêmes au milieu des autres. En 2015, l’esprit d’un humain est alimenté autant par le virtuel des représentations que par le contact direct avec la réalité. Et pas seulement chez l’enfant. De l’information au pur divertissement (mais comment désormais démêler), les représentations sont dominées par le sensationnel, par la capacité de « faire spectacle », donc par la surenchère des outrances. Le risque devient danger et le danger devient peur si l’on ne met pas en route une capacité à comprendre. Il nous faut réinventer un équilibre, entre le statut de spectateur et celui d’auteur et acteur de sa propre vie. Non pas pour devenir tous artistes professionnels, mais pour que chacun prenne part au monde à construire en interconnectant nos récits et nos cultures.

Nous pouvons à la fois être lucides sur les enjeux posés par les dangers et dominations de toutes natures, et rester résolument optimistes sur le recours au pouvoir créateur des individus pour faire reculer les inégalités.

Par la magie de l’expérience du frottement avec les autres, nous pourrons aborder les questions suivantes avec confiance et détermination :

  • Comment continuer à sécréter le désir d’apprendre chez le plus chez nombre ?
  • Dans un monde numérique où les échanges massivement visibles sur les écrans sont essentiellement commerciaux, ludiques ou obscurantistes, quelle place pour la vie et la culture ?
  • La culture, en tant que bouillonnement créatif, dialogue fécond entre les époques et les générations, peut-elle relever le défi numérique ?
  • Le monde est-il perceptible et entendable en tant que réalité par et pour les nouvelles générations ?
  • Le monde est-il racontable et intéressant en tant que source de richesse et de diversité, par et pour les nouvelles générations ?
 

L’association 6labs permet d’agir très concrètement à travers les ateliers pratiques avec les enfants et les jeunes, en fédérant les acteurs des territoires, en France et à l’étranger, autour de la question de l’expression culturelle par tous et pour tous, au service de la citoyenneté.