FABRIQUER ET APPRENDRE ENSEMBLE
Comment changer de point de vue sur soi et sur le monde
En 2011, nous démarrons un projet avec le groupe théâtre d’un collège. Le groupe fonctionne ensemble depuis plusieurs années, épaulés par des professeurs de français très motivés. Les élèves et les encadrants ont choisi de travailler sur le thème de la différence et du regard de l’autre. Rapidement, lors des premières séances d’écriture, les élèves produisent des textes très volumineux, qui s’apparentent d’une façon plus ou moins fine à des rôles taillés sur mesure pour les acteurs qu’ils sont. Que faire face à cette attitude parfaitement naturelle au demeurant ? Les laisser se faire plaisir, au risque d’aboutir à un résultat totalement indigeste, et finalement désastreux sur le plan pédagogique ? Les censurer, ce qui aurait pour effet de leur ôter toute motivation, et de les rendre spectateurs du projet dès lors repris en main par les professeurs et les encadrants ?
Nous aurions pu partir de Bergman ou Resnais, et vérifier que le théâtre sait merveilleusement habiter l’écran de l’épaisseur des passions humaines, en pratiquant l’humilité formelle et l’économie de mots. Il nous aurait fallu 200 heures et nous en avions 50.
Nous avons pris la décision de faire un film sans dialogues, tout en gardant au centre de l’écriture la problématique du regard de l’autre. Comment est-on perçu par l’autre, sur un premier contact physique, uniquement basé sur l’apparence ? Quelles ont les conséquences psychologiques lorsque ce premier regard se transforme en jugement péremptoire, qui consiste à désirer fortement ou repousser violemment ? Le jeu est beau mais cruel, si nous jugeons nous devons accepter d’être jugé, et quel en est le prix ? Quel place avons-nous « aux yeux » de l’autre, lorsqu’il nous juge sur le paraître et néglige notre être ?
Nous avons quitté le pré carré de la certitude rassurante des dialogues qui disent tout et trop, pour entrer dans la forêt sauvage des apparences, des faux-semblants, des fantasmes et des désirs. Dans le film des jeunes, les personnages changent mystérieusement d’apparence en mangeant des baies de houx, celles dont on fait les bois fameux, les célèbres « holly wood ».
Au lieu d’essayer de surpasser le voisin en quantité de texte ou en intensité émotionnelle, les élèves se sont mis à imaginer les circulations des corps dans cette forêt à construire qui était au départ le parc du collège. Caméra en main, ils ont joué avec les arbres, avec les déplacements, les croisements, les disparitions, les apparitions et ont inventé eux-mêmes la chorégraphie des désirs et des pulsions. Puis, après quelques séances, nous sommes allés en forêt régler les mouvements entièrement avec une caméra amateur, en plaçant des repères avec des bouts de laine de couleur, comme pour un parcours d’orientation. Nous avons sollicité les services d’un opérateur steadycam pour le tournage, pour avoir un rendu à l’image le plus propre possible. Le film a été tourné en deux petites journées, sur les bases très exactes de ce qu’avaient réglé les élèves auparavant. La bande son a été confiée à deux jeunes musiciens talentueux en fin d’études.
Les collégiens sont les passeurs de la mémoire locale sur la seconde guerre mondiale.
Les Bauges, en Savoie, et la Vallée Verte en Haute-Savoie, sont deux massifs qui ont vécu intensément la seconde guerre mondiale, mais qui n’avaient au début des années 2000 livré aucune mémoire filmée de cette période, sans doute par humilité, dans l’ombre des Glières ou du Vercors. Ces montagnes ont pourtant accueilli des maquis importants, permis de cacher de nombreuses familles juives, et malheureusement, connu des tragédies marquantes au moment des incursions nazies.
Nous avons accompagné les deux collèges de ces vallées alpines dans un travail de collecte et de transmission de la mémoire des témoins directs de cette période. Pendant un an et demi, 160 adolescents ont travaillé sans relâche, de chaque côté du lac d’Annecy, dans le temps scolaire et en dehors, pour faire aboutir leur projet. Les témoins sont leurs grands-parents, arrière-grands-parents, voisins. Pour la plupart, ils n’avaient jamais parlé. Avant, c’était trop tôt, et maintenant, il est déjà trop tard. Plus que quiconque, les jeunes étaient légitimes pour faire ce film. Ils peuvent désormais mettre des récits derrière les plaques. Ils ont énormément appris, et savent maintenant pourquoi il est important de se souvenir.
Le professeur documentaliste, les enseignants d’histoire et géographie, de français, d’arts plastiques, de musique – et sur le collège de Boëge de savoyard – ont activement participé.
Les petits montagnards reprennent ensemble le chemin de la montagne
Dans les classes primaires du massif du Mont-Blanc, Servoz et Combloux, les enfants connaissent et pratiquent la montagne, mais à des degrés divers.
Certains la connaissent surtout en hiver à travers le ski. D’autres la connaissent mal, par manque de moyens financiers de la part des parents, ou par manque d’intérêt tout simplement. Quelques élèves la vivent l’été avec leurs parents ou grands-parents dans la pratique pastorale. Ces inégalités dans le rapport à la montagne, ne paraissent pas aggravantes pour bien réussir à l’école, mais elles compliquent le rapport collectif que ces futurs adultes devront mettre en place avec un milieu naturel fragile, qu’ils devront partager dans un équilibre entre travail, loisir, aménagement, sauvegarde et prérennité de la bio-diversité.
Au-delà du regard sur la montagne, le projet a servi aussi à rebattre les cartes des hiérarchies de la classe, à voir revenir vers l’école les parents sans stress, et aussi à revisiter le regard des uns sur les autres.
Du côté de Servoz, le projet a été mis au centre de l’année d’apprentissage. Chaque élève a produit au final un carnet de bord très complet.
Que met-on dans la cohésion sociale ?
Lycée des Cordeliers – Cluses. Difficile de parler de cohésion sociale sans parler de diversité, et même de différence. La différence, est-ce bien ou mal ? La diversité c’est bien, mais marquer la différence, la souligner ou la stigmatiser c’est plus discutable. Au lieu de venir avec une boite à outils de type Mako Moulage « cohésion sociale et intégration », nous avons, avec Camille Marchand, enseignante en Arts Appliqués, commencé par écouter les élèves.
Dans cette classe, les professeurs ont détecté de sérieux problèmes de motivation pour les études. La restitution de la parole qui a circulé en petits groupes donne lieu à une mosaïque très intéressante, à une complémentarité totalement inespérée au départ. Au lieu de choisir un projet au détriment des autres, nous décidons de bâtir un récit global dans lequel vont venir s’enchâsser les séquences courtes, avec un fil rouge où deux personnages errent dans les espaces communs du lycée dans une quête assez philosophique. La différence : force ou faiblesse, chacun pourra juger, à condition de bien « faire » soi-même la différence, et de ne pas laisser les autres nous imposer une vision manichéenne.
Le fait alimentaire
Six étudiants enquêtent sur l’alimentation. Ils remontent la filière des aliments et étudient les impacts de nos choix de consommateurs sur le territoire.
Tout part d’un atelier réalisé par des étudiants en géographie et ingénierie d’espace rural, dans le cadre d’un « projet professionnel » et que nous avons fait évoluer vers un documentaire grand public pour la télévision (« les pieds dans le plat ») et qui sortira bientôt en salles en version 90 minutes (« Regards sur nos assiettes »).
La question est posée ainsi dans le film: « Est-ce qu’un pays qui connaît un fort développement économique et touristique peut aussi se nourrir lui-même ? »
Nous montrons des expériences de production et de distribution viables économiquement et qui vont dans le sens d’une valorisation globale du territoire et de ses acteurs.
Le thème de l’alimentation est très présent dans les médias et les productions documentaires. Quelle était la place et la légitimité des étudiants vis à vis de cette offre audiovisuelle pléthorique ?
Les oeuvres ou les produits audiovisuels qui traitent de la question de l’alimentation émanent en général de trois catégories :
- le film militant
- le reportage enquête journalistique
- le film institutionnel
Ici, l’approche est radicalement différente. L’enquête est menée par les étudiants, qui découvrent d’une façon spontanée l’envers de l’assiette. Il s’agit d’un documentaire de création qui entend sensibiliser d’une façon responsable et souvent drôle toutes les générations, et plus particulièrement les jeunes. Si point de vue il y a, il se fait « chemin faisant », au gré des rencontres et des découvertes. Les jeunes ont naturellement trouvé leur légitimité dans la sincérité de leur approche et leur absence de préjugés.
En dehors de la fraicheur du ton, non négligeable sur une thématique saturée par l’anxiogène, cela permet également parler de tous les impacts qui sont en jeu dans la relation entre alimentation et territoire, impacts sanitaires bien entendu, mais aussi environnementaux, économiques, sociaux et culturels.
Produire de la ressource.
L’objectif n’est pas de s’adresser en permanence au grand public, mais de donner une diffusion à la mesure de l’aboutissement des projets. Les étudiants de l’IER avaient en main une problématique et une approche formelle parfaitement digne de s’adresser au grand public, voire même de régénérer les approches sur la thématique.
Le partage de l’école du temps comme 1ère pierre de la construction de l’école de demain.
En 2013, les cinq communes de la haute vallée des Bauges ont fermé pour regrouper tous les enfants dans une école neuve sur la commune de… Ecole en Bauges.
Nous avons accompagné ce moment important pour la collectivité avec un projet artistique qui associe la population au processus de création et de médiation numérique.
Le groupe scolaire relie les écoles géographiquement, et les supprime de l’espace des communes. Les habitants voient, observent, mais n’ont rien à faire, pensent-ils. Et leur école à eux ? Et leur histoire ? Pourquoi ne pas construire virtuellement avec les outils numériques modernes une école de demain qui soit le partage de l’école que chacun porte en soi ?
Ensemble, en réunissant toutes les générations, les élèves, les enseignants, le cinéaste et les habitants relient les écoles dans le temps. Ensemble, ils construirent une oeuvre multimédia, le groupe scolaire du temps. Avant de mettre la clé sous la porte, ils ont redessiné le chemin de l’école pour tous. Ouvert les fenêtres en grand, fait circuler le courant d’air des idées.